septembre 20, 2022

Soixante ans d’arts ménagers

Par Sandra Biaggi
Soixante ans d’arts ménagers. L’exposition « Plateau volant, motolaveur, purée minute au Salon des arts ménagers, 1923-1983 »aux Archives Nationales se concentre sur la fabrique du salon des Arts Ménagers et sur la culture visuelle qui en résulte.
Le Salon des arts ménagers a drainé pendant soixante ans, des foules curieuses de nouveauté et fois d’utopie. Sous l’œil attentif des politiques et entrepreneurs. De formation scientifique et de sensibilité socialiste, député et sénateur respecté, directeur du service des inventions durant la Grande Guerre puis ministre de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociales, Jules-Louis Breton fut aussi l’inventeur du motolaveur, ancêtre du lave-vaisselle et, en 1923, l’initiateur du Salon des arts ménagers pour « mettre le rêve à la portée de tous ». L’exposition rappelle l’incroyable spectacle que constituait alors le Salon, au Grand Palais, à Paris, puis au Cnit à la Défense, jusqu’à sa fermeture définitive en 1983. Des films et des photos montrent les foules attentives au « quitien » pour fixer les manches à balai, aux casseroles automatiques, aux aspirateurs, des élégantes en chapeau essayant des diffuseurs de fums, ou le président Albert Lebrun en arrêt devant le stand des presse-purée en 1934.  Car l’alimentation est un secteur privilégié des responsables de la manifestation, pour le bien-être de la population qui peut goûter l’inimitable Viandox, pour l’image de marque de la France, patrie de la gastronomie (et Raymond Oliver présente ses petits fours), mais aussi pour les retombées économiques. La nature n’est pas totalement oubliée, avec la lutte contre « le papier gras, nouveau fléau de nos sites touristiques », pour Léon Auscher, président de l’Union nationale des associations de tourisme en 1938. Les inventeurs sont donc sollicités l’année suivante pour dessiner des poubelles solides, pratiques et si possibles esthétiques – nos équipes municipales en sont toujours là.  L’exposition interroge aussi les questions sociétales, et d’abord la place des femmes. Paulette Bernège, proche collaboratrice de Jules-Louis Breton, imagine une femme moderne, active à l’extérieur et régnant chez elle sur une cuisine-laboratoire aux déplacements pensés pour éviter les « distances-vampires » qui coûtent efforts et temps. Jusqu’en 1974, un concours de la fée du logis détage 60 finalistes, entre réalisation de pâtés en croûte, repassage et raccommodage. Dans ce concert s’élèvent cependant quelques voix discordantes, celle de Louise Weiss plaidant en 1936 pour le droit de vote avec le groupe de La Femme nouvelle ou, plus radicales encore, celles des militantes du MLAC-MLF en 1975, qui diffusent une affiche vengeresse sur la Mé(na)gère apprivoisée, mécanique utile et silencieuse, « vraiment une affaire ! ». Symbole de la société de consommation, y compris dans ce qu’elle a rétrospectivement d’excessif comme la maison tout en plastique de 1956, cette manifestation populaire (1,4 million de visiteurs à son apogée en 1962, pour 1 289 exposants sur cinq niveaux) est un exceptionnel révélateur de société. Il était naturel que les Archives nationales, détentrices du fonds complet du Salon, aient envie d’en faire profiter un large public. 

L’expo est à voir jusqu’au 16 juillet 2022 aux Archives nationales – 59 rue Guynemer – Pierrefitte-sur-Seine 93 (M° St-Denis – Université)

©Huguette Meunier dans Mensuel 493